La science progresse grâce à la genèse de données solides (Evidence based Medicine) pour répondre à des questions médicales ou de santé publique. L’intuition des médecins, cliniciens et chercheurs, leur fait élaborer des hypothèses, prendre des paris sur la base de connaissances préliminaires, qui doivent faire l’objet d’une confirmation (ou non) par des essais cliniques avec une méthodologie robuste, avant de généraliser l’utilisation d’un traitement dans une indication précise. Combien de fois l’enthousiasme initial a été « douché » par les résultats d’études conduites sur un plus large échantillon de patients ? Les débats contradictoires entre experts sont donc la règle.
La crise du Covid a changé les règles du jeu : les journaux scientifiques acceptent des publications très vite, avant la revue habituelle par un comité de lecture, afin de contribuer à la diffusion rapide de la connaissance entre les équipes internationales. Les joutes entre experts ont désormais quitté le monde de l’entre soi pour la place publique !
Il en est ainsi pour trois traitements potentiels de l’infection à Covid 19, en cours d’étude, qui déclenchent les passions : (1) le remdesivir, traitement antiviral d’un laboratoire américain, autorisé par la FDA sur la foi d’un essai positif, alors qu’une étude chinoise publiée dans le Lancet n’était pas concluante, (2) bien entendu, la fameuse hydroxychloroquine défendue par le Pr Didier Raoult sur la base d’études observationnelles jugées insuffisantes par le monde académique et, (3) le tocilizumab, anticorps monoclonal d’un laboratoire suisse, qui a fait l’objet d’une communication, de la part de l’AP-HP, de premiers résultats prometteurs, qui a été jugée comme précipitée et a déclenché la démission du comité d’experts internationaux supervisant l’étude,
La Directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique de Paris, Dominique Costagliola livre, sans fard, son analyse de cette situation dans les colonnes du Figaro du 8 mai : « Dans le premier cas, c’est un laboratoire aux pratiques de lobbying agressives dans un contexte géopolitique particulier (un médicament américain et une année électorale aux États-Unis); dans le deuxième les intuitions « géniales » d’un professeur ne reposant sur aucune donnée; et le troisième, un défaut de gouvernance dans la gestion de l’essai par l’AP-HP qui a conduit les investigateurs, qui se rêvaient peut-être déjà en sauveurs du monde à communiquer de manière prématurée.
Le défaut originel selon l’experte, un défaut de coordination en France, mais aussi entre les pays, qui conduit à la multiplication de projets, qui rentrent en compétition pour le recrutement de patients, ce qui retarde de facto l’obtention de résultats fiables et solides.
Il en est ainsi de l’essai Discovery, initialement européen qui suscitait de nombreuses attentes avec plus de 3 000 patients et dont les résultats étaient attendus fin avril. En pratique seuls 740 patients français et 1 luxembourgeois semblaient avoir été inclus le 6 mai….
« Communiquer trop tôt, c’est prendre le risque de donner de faux espoirs » titre justement l’article du Figaro.